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SANTA ANNA METTERZA EN ITALIE

Les peintres du Trecento n’ignoraient pas Chartres1, et c’est en Italie que le thème de santa Anna Metterza (messa come terza)2 va connaître son plus glorieux épanouissement.


En 1367, Luca di Tommè, le représente au centre d'un polyptyque destiné au couvent des Capucins de San Quirico d’Orcia3. Toujours hiératique, l’aïeule assise, drapée dans un ample manteau, tient sur son genou gauche Marie, de plus petite taille, qui serre contre elle son enfant. Tout aussi sévère et majestueuse, Anne domine sa descendance dans le triptyque jadis conservé dans l'église Santa Chiara de Naples (premier quart du XVe siècle).




Une autre œuvre, attribuée à Barna da Siena ou à son entourage4, apporte une innovation décisive : à la composition verticale se substitue une scène groupant les trois personnages côte à côte. Les deux femmes sont assises sur un large trône, de part et d’autre de Jésus debout qui tend les mains vers sa mère et son aïeule. Tout est vraisemblable, les âges, les proportions, les attitudes. Cette scène familiale, presque intimiste, a été probablement calquée sur l’épisode de la naissance de la Vierge où sainte Anne, étendue sur son lit, assiste au bain de sa fille tenue par deux suivantes5. La représentation de la Trinité peut être également invoquée. Anne et Marie tiennent la place du Père et du Fils, Jésus occupe celle de la colombe du Saint-Esprit ouvrant ses ailes.


Sainte Anne à Florence

Le culte de la mère de Marie, attesté à Pise et à Sienne pendant la seconde moitié du XIVe siècle, connaît une plus grande ferveur à Florence, grâce à un événement survenu le 26 juillet 1343. En ce jour où l’on célèbre la fête de sainte Anne, les Florentins boutèrent hors de la cité le duc d’Athènes, Gaultier de Brienne, considéré comme un tyran. Sur les murs du Palazzo Vecchio, une fresque postérieure d’une vingtaine d’années, la représente en protectrice de la république de Florence. Sa statue fut placée dans l’église d’Or San Michele où de réunissaient les corporations. A cette œuvre, inconnue, succéda, en 1522, une sculpture de Francesco da Sangallo6.

Masaccio conféra au thème trinitaire une grandeur monumentale lorsqu’il peignit, en collaboration avec Masolino, un tableau d’autel destiné à l’église de Sant’Ambrogio7. Il humanise, en plaçant l'Enfant sur les genoux de sa Mére, le schéma byzantin des trois personnes superposées, tel que nous l'a transmis une icône conservée à Korcula (Croatie). Marie n’est plus la figurine tenue par sa mère ; elle est assise, présentant l’Enfant bénissant qu’elle ne regarde pas et dont elle semble, le regard fixe et grave, contempler le destin. Sa mère la domine de sa haute stature, protectrice et tutélaire comme l’atteste le geste expressif de ses mains, mais aussi puissante et possessive... L’œuvre dut connaître une grande célébrité car elle fut imitée, de façon plus ou moins habile8.




L’une des plus inspirées est la Sainte Conversation, datée de 1471, jadis attribuée à Cosimo Rosselli, qui aurait été peinte par le florentin Baldassare di Biagio pour la chapelle Pagnini-Baldini dans l’église San Francesco de Lucques, qu’il a également décorée de fresques9. La solennité de la composition est accentuée par une architecture à l’antique. Deux puissantes colonnes corinthiennes isolent le groupe trinitaire entouré d’une haie d’honneur :que forment saint Michel et sainte Catherine d’Alexandrie à droite, saint François d’Assise et Marie-Madeleine à gauche.







En 1481, le pape Sixte IV inscrivit au Bréviaire la célébration de la fête de sainte Anne que Benozzo Gozzoli représenta dans un tableau peut-être destiné à un couvent de religieuses de Pise, consacré à sainte Anne10. Il substitue à la composition pyramidale une diagonale qui, partant de la droite, juxtapose les visages des trois personnages aux proportions identiques. A leurs pieds est agenouillée la donatrice coiffée, comme sainte Anne, du voile des veuves, accompagnée de ses trois filles.

1 A. Feulner, « Imad Anna oder Imad Madonna », Pantheon, t.XX, 1938, p.160-161.

2 Voir l’analyse de ce hapax par J.P. Maïdani-Gérard dans Sigmund Freud Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Gallimard, 1987, p.156.

3 Signé et daté de 1366, le polyptyque de Luca di Tommè est conservé à la Pinacoteca Nazionale de Sienne. Voir Piero Torriti, La Pinacoteca Nazionale di Siena, Gênes, 1990, n°109, p.106-107. Voir aussi Anja Zeller, op.cit., p.32.

4 Sur cette œuvre conservée à Boston (Museum of Fine Arts), voir Milliard Meiss, Painting in Florence and Siena after the Black Death, Princeton, 1951, p.110.

5 Par exemple la Naissance de la Vierge peinte vers 1380 par Paolo di Giovanni (Sienne, Pinacothèque). Cette scène était fréquemment représentée sur les tondi offerts aux accouchées, sainte Anne étant invoquée par les mères et les parturientes.

6 Roger J.Crum and David G.Wilkins, « In the Defense of Florentine Republicanism : Saint Anne and Florentine Art, 1343-1375 » dans Interpreting Cultural Symbols, op.cit., p.131-168. Une sculpture, de facture maladroite et de provenance incertaine, datée du XIVe s., conservée au Musée du Bargello, ne saurait être prise en compte.

7 Le tableau, conservé au Musée des Offices, est daté fin 1424 ou début 1425. Voir R.Longhi, A propos de Masolino et de Masaccio, Pandora, 1981, p.96, Paul Joannides, Masaccio and Masolino,. A Complete Catalogue, Phaidon, 1993, p.369-372. Voir aussi l’analyse d’Anja Zeller, op.cit., p.34 et suiv.

8 Notamment par Lorenzo da Sanseverino (Pinacothèque Vaticane) et par Bicci di Lorenzo (coll.part.). Voir Longhi, op.cit., fig.11. et Anja Zeller, op.cit., p.37, notes 196, 197.

9 Berlin, Gemäldegalerie. Le catalogue du musée (1996) l’attribue à Giacomo di Piemonte, cité par Anja Zeller, op.cit., p.47, note 251. Voir Edith Gabrielli, Cosimo Rosselli. Catalogo ragionato, 2007, R.4.

10 Pise, Museo Nazionale e Civico di San Matteo. Voir Anna Padoa Rizzo, Benozzo Gozzoli, pittore fiorentino, Florence, 1972, p.142 et Anja Zeller, op.cit., p.38.