Sainte Anne Trinitaire > Santa Anna Metterza en Italie

Après le Concile de Trente

En 1563, le Concile de Trente éradiqua sans peine en Italie, où elle n’était pas bien enracinée, l’histoire apocryphe de sainte Anne, au profit de la Sainte Famille. La Parenté disparut et Anne cessa de dominer sa lignée. Elle demeure présente, mais en retrait. « Anne, écrit Thomas de Saint-Cyrille, a vu son petit-fils, l’a pris dans ses bras, sur son sein, l’a adoré, l’a couvert de baisers. Ce n’est donc pas sans raison que l’Eglise représente sur ses autels, dans ses tableaux, l’Enfant Jésus entre Anne et Marie, leur souriant et jouant avec elles »33.

Cette dévotion, adoucie et corrigée, inspira plusieurs œuvres romaines34. Mais un artiste rebelle transgressa les règles et donna de sainte Anne trinitaire l’interprétation la plus provocatrice.

La Confrérie des Palefreniers, fondée au milieu du XIVe siècle, avait dédié à sainte Anne une chapelle dans la basilique Saint-Pierre de Rome. Elle était ornée d’une toile, attribuée à Il Fattorino Penni, où Anne, debout, présente Marie et Jésus à saint Pierre et saint Paul35. La Confrérie, décidant de la remplacer, s’adressa au Caravage qui remit son œuvre en mars 1606. Peu après son installation au-dessus de l’autel, le tableau dut être décroché en raison du scandale qu’il provoquait. Influencés, sans doute, par le neveu du pape, Scipion Borghèse, les confrères le lui vendirent, le 16 juin de la même année36.

Tout, dans cette composition, devait choquer les fidèles qui pénétraient dans le sanctuaire le plus auguste de la Chrétienté : le sexe de l’Enfant, dressé au premier plan, la gorge pigeonnante de Marie, le visage buriné de sainte Anne, vêtue comme une paysanne... S’agissait-il d’une provocation ? L’artiste avait voulu transcrire en le transposant, selon son habitude, dans la réalité plébéienne, une vérité, récemment proclamée par l’Eglise, qui mettait fin à une longue controverse : Le serpent, symbole du mal, a été terrassé conjointement par Marie et par son Fils37. La partie gauche où Jésus pose le pied sur celui de sa mère pour écraser la tête du reptile, reproduit d’ailleurs la toile de Figino qui fut certainement proposée au Caravage comme modèle38. Mais il a ajouté à cette composition la figure de sainte Anne qui, contrairement à toutes les représentations antérieures, reste à l’écart. Cette vieille femme crispée, croisant ses mains rugueuses, n’est plus que la spectatrice impuissante de la lutte du Bien contre le Mal.

Quelques années plus tard, Saraceni s’inspira de la composition du Caravage, tout en la modifiant39. Même différence d’âge entre les deux femmes, même nudité de l’Enfant et couleurs identiques des étoffes se détachant sur un fond obscur. Mais le lien est rétabli entre les trois personnages qui semblent jouer une scène de genre. L’aïeule saisit d’une main le bras de l’enfant, tandis que, de l’autre, elle lui présente un oiseau. Marie, qui tient son fils assis sur ses genoux, tend l’index pour le mettre en garde. L’oiseau aux ailes écartelées et le linge blanc évoquant le linceul préfigurent, en effet, la future Passion du Christ. Peu après la disparition du Caravage, l’un de ses disciples, Orazio Borgianni insère dans sa composition saint Joseph qui finira par évincer l’aïeule (Florence, Fundazione Roberto Longhi).

Une autre toile caravagesque fut peinte, vers 1633, par Giovanni Battista Caracciolo40. Un rayon lumineux éclaire Marie qui serre contre elle son fils âgé déjà de plusieurs années. De la main il bénit son aïeule, vieille femme du peuple ridée, parcheminée qui se détache sur un fond obscur. Les gestes expriment les liens entre les trois personnages. L’aïeule modeste et attendrie, une main sur le cœur, tend l’autre vers le Sauveur, tandis que Marie désigne celle qui lui a donné la vie. Ces œuvres constituent le parfait exemple de la transformation d’un thème par l’Eglise post tridentine. Les fidèles pouvaient continuer à vénérer cette trinité, car elle était porteuse d’un message théologique.

La vogue caravagesque étant passée, il est curieux de retrouver, au milieu du XVIIIe siècle, une résurgence du groupe trinitaire dans une peinture du bolonais Francesco Monti. Dans l’église San Zeno al Foro (Brescia), il a peint la Mort de sainte Anne en inversant les rôles : C’est désormais Marie qui soutient Anne étendue sur son lit.

33 Emile Mâle, L’art religieux après le Concile de Trente, Paris, 1951, p.351

34 Citons la toile de Peter de Witte, dit Pietro Candido, qui collabora avec Vasari à la Scala Regia (Pinacothèque vaticane), celles du Bacicia ( San Francesco a Ripa. Chapelle Altieri), de Paolo Baldini (Sant’Isidoro) et de Calandrucci (San Paolino alla Regola)

35 L’œuvre est conservée au Vatican. Voir Walter Friedlaender, Caravaggio Studies, Princeton University Press, 1874, p.193, fig.105

36 Rome, Galerie Borghèse. Voir Michelangelo Merisi da Caravaggio. Come nascono i capolavori, Florence-Rome, 1991-1992, p.81

37 Emile Mâle., op.cit., p.39

38 Friedlaender, op.cit., p.192, fig.106

39 Vers 1610, provenant de l’église Sainte Marguerite, Rome, Galerie nationale d’art ancien (Palais Barberini)

40 Vienne, Kunsthistorisches Museum. Marlies Buchholz, op.cit.,p.69, a analysé cette toile mais, contrairement à cet auteur, nous pensons qu’il s’agit de sainte Anne et non de Salomé, la sage-femme qui avait douté de la virginité de Marie et dont la main, introduite dans l’utérus de la Vierge, en était sortie desséchée.